La Laïcité
par Christian Allard

« Toute réflexion sur les politiques éducatives
implique une dimension historique… »

Antoine Prost

Dans la hiérarchie des grands textes la Constitution tient la première place. En son article 1er, elle stipule : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. » Difficile d’affirmer plus fortement que la laïcité est une valeur républicaine. Mais… laïcité… qu’est-ce à dire ?

Jusqu’au XVIIème siècle, « l’église catholique a donné en France les fondements principaux de la culture morale commune[1] ». Elle définissait, pour l’essentiel, ce qui était bien et mal. Ce fond commun n’empêchait pas le développement de morales spécifiques ( le code d’honneur de la noblesse n’était pas la morale paysanne, ni celle des bourgeois ), mais il y avait l’existence des références consensuelles catholiques.

La moralité était liée à la vérité religieuse.

Au siècle des Lumières, cette vérité fait débat. Il est conservé l’idée de l’utilité morale de la religion mais on la dissocie de son statut de vérité.

« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses… » La déclaration des droits de l'Homme et du citoyen 26 août 1789 pose les bases de la liberté de conscience.

Condorcet propose de « fonder la morale sur les seuls principes de la raison ». Rejoignant sur ce point le philosophe Kant qui propose d’« amener l’homme à penser par soi-même ».

Il y a une laïcisation de la morale. Les droits de l’Homme sont rapidement qualifiés de Nouvel Evangile, la Constitution est dite sacrée. La cérémonie religieuse n’est plus nécessaire pour être marié ; il y a un affranchissement de la tutelle parentale ; le mariage n’est plus indissoluble.

Lors de l’Empire, Napoléon Bonaparte maintient des mesures laïcisatrices (comme le mariage civil) mais réofficialise la morale catholique comme formatrice des consciences en l’affirmant comme objet de la croyance publique.

Avec le retour de la démocratie, des dogmes comme l’autorité, l’intolérance, l’immobilisme sont remis en cause. Dogmes caractérisant pour certains, comme le philosophe Eugène Vacherot, la religion. La démocratie a besoin pour sa réalisation d’autres conditions morales. La démocratie a besoin d’un citoyen libre, tolérant et actif.

Les libertés publiques sont assurées : liberté de réunion, liberté de la presse, liberté d’association…

Le complément indispensable du suffrage universel, l’instruction, est favorisé. La République croit d’abord aux capacités. C’est le principe de la promotion sociale par le mérite. La plupart des instituteurs sont d’ailleurs issus de familles très modestes. Les français devaient se sentir responsables de la collectivité nationale.

C’est seulement en 1870 qu’entre le mot laïcité dans le dictionnaire. Valeur républicaine depuis la Révolution, nous l’avons vu, la laïcité s’affirme – et s’affine dans son principe - lors de la Troisième République.

1882 : séparation de l’Eglise et de l’école. L’école laïque s’affirme comme morale. Les principes de 1789 constituent selon Jules Ferry, « notre morale civique et l’âme même de la patrie ». La loi du 28 mars substitue au programme des écoles primaires « l’instruction morale et civique » à « l’instruction morale et religieuse ». On distingue le service publique de l’instruction religieuse qui est de la responsabilité parentale stricte. Mais l’école laïque permet par son organisation cette liberté de choix parental. L’école laïque a vacances un jour par semaine pour que les parents puissent aisément envoyer leurs enfants au catéchisme.

1883 : Jules Ferry écrit une « lettre aux instituteurs ». Cette « chose délicate et sacrée qu’est la conscience de l’enfant » implique un devoir de réserve. La morale laïque doit assurer le lien social et enseigner les valeurs démocratiques. Et cette dynamique de socialisation passe par le fait que le maître ne doit choquer aucun « père de famille ».

L’école laïque, créatrice de morale, est le lieu d’apprentissage de la tolérance. Elle permet aux enfants, quelle que soit leur classe sociale ou leur religion, de se connaître et s’accepter. Garçons ou filles. Les instituteurs doivent donner avec une rigueur et une moralité exemplaires la même instruction à tous.

Par la loi de 1905 séparant les Eglises et l’Etat – la République assure la liberté de conscience – la neutralité de l’Etat est rendu possible. L’Etat gouverne dans l’intérêt général. Pour cet aspect consensuel, la laïcité est très violemment critiquée par la droite nationaliste, par les catholiques de combat et par la gauche révolutionnaire.

Aujourd’hui, tous les historiens reconnaissent qu’elle a permis de limiter l’influence fascisante dans les années 30 et l’impact du stalinisme après la seconde guerre. Depuis la morale laïque est reconnue comme un fondement nécessaire au vivre ensemble. « La laïcité a puissamment contribué à l’unité nationale et sur laquelle pèse la responsabilité de faire vivre le pluralisme social et culturel de la France d’aujourd’hui.[2] »

C’est la République qui est laïque, non un groupe ou une communauté. Il n’y a pas de citoyen laïque.

Le principe de laïcité est affirmé dans l’instruction ou l’éducation publiques au nom des droits de l’enfant, au nom du droit de ne subir aucun prosélytisme au sein d’un service public. À ce droit fondamental de l’enfant répond symétriquement le devoir de réserve de l’enseignant, de l’éducateur qui intervient au nom du service public. La laïcité ne s’enseigne pas, elle se pratique. Elle est défendue par sa mise en valeur, par l’exemple. Là est le défi pour tous. Là est la responsabilité des éducateurs. La puissance publique - et tout ce qui en relève, et tout ceux qui interviennent en son nom- n’a rien à dire concernant les croyances et les incroyances.

« La laïcité, pierre angulaire du pacte républicain, repose sur trois valeurs indissociables : liberté de conscience, égalité en droits des options spirituelles et religieuses, neutralité du pouvoir politique.[3] »

Les assistantes familiales, employées par une personne morale de droit public, sont tenues au principe de neutralité qui s’accorde aux principes de la charte de la laïcité. La laïcité fait partie de l’essence même du service public. En ne respectant pas le principe de neutralité, c’est la notion de service public que l’on attaque, c’est le service auquel on appartient que l’on attaque.

Le but de l’éducation est de faire acquérir aux hommes la faculté de penser et d’agir par eux-mêmes, de leur donner le goût de l’indépendance individuelle et le désir d’engendrer du neuf.

Chaque être humain contracte une dette à l’égard de la société qui lui apporte à sa naissance un certain état de civilisation. Dette qu’il règle en développant ses facultés physiques, intellectuelles et morales. En apportant sa pierre à l’édifice social.

Dans les valeurs morales qui font partie du pacte constitutif de l’organisation sociale, des repères, des quêtes d’identité, la laïcité y tient la place, reprenons l’expression, de pierre angulaire.  Par elle, nous transmettons aux enfants le respect du passé, le respect du travail des générations qui nous ont précédés.

C. Allard, juin 2009

 

è « Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale » sous la direction de Monique Canto-Sperber aux PUF collection quadrigue Dicos Poche. - « Dictionnaire de l’éducation » sous la direction d’Agnès van Zanten aux PUF collection quadrige Dicos Poche.


[1] Jean Baubérot in « dictionnaire d’éthique et de philosophie morale » aux PUF

[2] Jean-Paul Delaye in « Dictionnaire de l’éducation » aux PUF

[3] Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité, présidé par M. Bernard Stasi en 2004.